Après tout cela je me posais des questions. Malgré ma volonté les signes s’imposaient. Pourquoi ? Bien qu’évitant le thème de la mort, elle se manifestait toujours. Ma protection se révélait inefficace. Je me sentais prise au piège d’une forme de fatalisme. Ma seule source d’information était constituée de livres circulants sous le manteau en cette période communiste, il m’était souvent impossible de pouvoir les acheter vu leurs prix exorbitants. Je me suis dit « je vais observer les Signes, écouter ma voix intérieure et ouvrir toute ma sensibilité aux événements sans préjugé ».
Souvent, avant de sombrer dans le sommeil une voix lointaine et chaleureuse me disait : « tout ceux qui aiment t’appartiennent, et tous ceux qui t’aiment te retrouveront ».
Trop d’événements se sont produits dans ma vie pour les accepter comme fruit du hasard. Je devais me préparer à de plus grandes confrontations. Tout ce qui devait se produire par la suite me confortait dans ma démarche et dépassait les limites de mon imagination.
Quelques jours plus tard j’ai entendu des bruits dans le cabinet de mon père, absent de la maison, ma mère dans la cuisine et ma soeur à l’école. La porte était fermée à cause de notre chat qui adorait déchiqueter des papiers ce qui horripilait mon père. J’ai ouvert la porte et le chat bondit dans la pièce et se figea en miaulant comme s’il était agressé puis s’enfuit. La première chose qui attira mon regard était la dizaine de feuilles éparpillées sur le sol, la lampe de bureau était couchée mais la plus étrange chose était au plafond. Une figure semblable à la lettre Z était inscrite sur le plafond et, m’approchant j’ai eu l’impression qu’elle avait été tracée avec le noir de fumée d’une chandelle. Autour de la lettre des taches rouge sang maculaient le plafond. J’ai eu l’impression que quelqu’un avait laissé sa signature. Mon père de retour, nous lui avons, avec ma mère, fait part de ce qui s’était passé. Il est entré et a regardé longuement le signe sur le plafond, sans rien dire. Il a pris un escabeau et avec un couteau détaché quelques fragments de la lettre et trace de sang, puis silencieux il est sorti.
Une heure plus tard, de retour il nous dit qu’il avait porté à un laboratoire, pour analyse les morceaux de plâtre afin d’en connaître la nature. Dans les trois jours nous aurions la réponse de la police scientifique. Contre sa volonté, il se sentait obligé de nous expliquer son comportement.
L’histoire de mon père.
« Depuis quelques temps j’ai l’impression de ne pas être seul dans mon cabinet. Je ne vois personne, mais ressent une présence derrière mon épaule lorsque j’écris ou lis. Troublé dans un premier temps je me suis accoutumé à cette présence quoiqu’il en soit, elle partira comme elle est venue. Cette « chose » me semblait féminine. Il y a quelques temps, dans un rêve j’ai rencontré une femme inconnue ».
Elle m’a dit : « Je viens chez vous et surtout chez toi parce que tu ne crois pas. Je m’appelle Zaphissa et je vais laisser ma signature dans ton cabinet. J’ai trente cinq ans, j’ai été violée et assassinée, on n’a jamais retrouvé mon corps pour m’enterrer. Aussi je cherche de l’aide, j’ai peur, je suis triste, ce qui peut parfois me rendre méchante ».
« Elle parla encore mais je ne me souviens plus de ces propos. Comme promis elle a laissé sa signature et c’est pour cela que j’ai cherché la compétence de quelqu’un qui pourrait me donner des explications ».
– Mais pourquoi, papa, dis-je, je peux m’occuper de ce problème !?
– J’ai déjà vu les résultats de tes essais dont toute la famille a pâti. Non, j’ai parlé avec une femme professionnelle qui va nous visiter ce soir.
Ayant conscience de la complexité de cette matière, je n’ai pas insisté.
Vers sept heures du soir on a sonné à la porte et mon père m’arrêta dans mon élan.
– C’est moi qui vais la faire entrer, tu ne peux pas.
– Mais pourquoi ?
Il ne m’a rien dit, ouvrit la porte mais le couloir était vide. En se dirigeant vers l’ascenseur, mon père se retourna :
– Je vais l’amener, ne vous inquiétez pas.
Nous sommes resté dans l’expectative.
Avec ironie ma soeur s’exclama : « On dirait qu’il vient une reine » ! Quelques instants plus tard, mon père poussant un fauteuil roulant introduisit « la dame mystérieuse ».
Une jeune femme blonde, calme et souriante, aux yeux bleus me subjugua. Elle me fit l’impression d’une fleur fragile qui, malgré les caprices du temps reste fixée au bleu du ciel. Son être nous disait , ce n’est pas parce que je ne vous connaît pas que je ne vous aime pas.
Spontanément je m’exclamais, sans comprendre « Tout le monde mérite l’amour ».
Elle se tourna vivement vers moi. Â « C’est cela, dit-elle. Vous le sentez ? »
Et son regard m’enveloppa comme une pèlerine de soie.
J’ai rougi et mon père dit :
– Voici Marguerite.
L’atmosphère se réchauffa.
Assis autour de la table, Margueritte demanda qu’on lui apporte une assiette creuse emplie d’un peu d’eau dans laquelle elle posa un petit crucifix d’argent.
« Mes visions viennent. Prenez un stylo et du papier et notez ce que je vais vous dire car je ne serais pas capable de le répéter. Je me trouve dans un village, il y a une grande maison au centre, entourée d’une vaste cour, d’un jardin où deux cerisiers en fleurs me rappellent que c’est le printemps. Le portail de la cours était ouvert. Je vois des voitures, beaucoup de monde, et devant cette porte un véhicule particulier ; c’est un corbillard. La porte de la maison s’ouvre et quatre porteurs chargés d’un cercueil sortent, suivis de deux femmes vêtues de noir accompagnées d’un jeune garçon. L’une âgée, l’autre d’une trentaine d’années se soutenaient. Le cercueil fut glissé dans le corbillard et les funérailles commencèrent, d’un pas lent. Arrivés au cimetière le rituel continua et après la mise en terre les gens s’en vont à l’exception d’une jeune femme qui, agenouillée devant la tombe, prie. Hors du temps qui passe, la nuit tombe sur ses épaules. On croirait que le vent agite les arbres, il n’en est rien. Une ombre s’approche. Stupéfaite, la jeune femme regarde autour d’elle en quête d’autres personnes, mais rien, tout le monde est parti. Une angoisse la saisit tandis que cette ombre masculine se jette sur elle et la prend à la gorge. Dans un combat inégal la jeune femme se retrouve dans les bras de cette créature, à demi inconsciente. L’emportant l’homme se dirige vers la forêt et emprunte un petit sentier qui l’amène au seuil d’une grotte. Il s’arrête puis pénètre dans la caverne, noir, plus noir, tout s’obscurcit. »
Margueritte, le visage défait, se tut.
– C’est tout ! dit ma soeur.
– Non, ce n’est pas tout, donnez moi un stylo et du papier. Mon père obtempéra.
Elle est là , nous dit Margueritte. Elle va nous parler, mais soyez patient, elle a besoin de repos. Elle est profondément triste mais aussi en colère. Je la comprends. Bloquée entre deux monde elle ne peut ni revenir ni partir et c’est pourquoi une colère l’anime car elle ne peut trouver de paix. Nous comprenions l’analyse de Marguerite.
Parlant de tout et de rien, Marguerite nous permis de nous détendre pendant une demi-heure.
J’étais très impressionnée du travail de cette femme. Je lui ai proposé une tasse de thé et elle m’a dit : « Ne sois pas jalouse, petite, parfois ce travail est dur ! A-t-on jamais vu une ou un magicien heureux ? Tout se paie mon enfant ».
– « Je sais. Votre tentative de suicide le prouve ! » lui dis-je. Elle me regarda attentivement.
– Alors, as-tu vu comment cela c’est passé ?
– Je vous vois tomber de très haut.
– Oui, c’était mon rêve d’enfance de pouvoir voler. J’ai perdu l’usage de mes jambes mais j’ai gagné ce don. Tout mon amour au monde se transforma en une immense compassion. Je ne regrette rien, ni jamais. Son regard lumineux nous entoura.
Profondément touchés nous étions fascinés par le message d’espoir de cette jeune femme.
Je la bénie toujours dans mes pensées. Elle baissa sa tête pour se concentrer, le silence s’installa, en lettres majuscules le stylo a écrit un message, une histoire, une vie, un destin bouleversant.
L’histoire de Zaphissa.
« Je m’appelle Zaphissa. J’avais une famille formidable, un mari et un fils. Nous habitions le village A. dans la province de Tarnovo. Mon mari était vétérinaire et moi infirmière. Malheureusement il est tombé malade et le diagnostique était fatal : cancer. On a tout fait pour le sauver, mais en vain. Il est mort jeune, trente six ans, et moi j’avais trente trois ans. Dans notre village vivait un homme étrange et solitaire. Il était camionneur et voyageait toujours. Plusieurs fois il me fit part de ses sentiments à mon égard. Je refusais toujours ses avances car j’aimais mon mari. Il ne cessa jamais de se manifester. Un jour il m’avoua que s’il ne pouvait m’épouser il me tuerai. Pendant la maladie de mon mari la situation se compliqua. Le jour fatal des obsèques de mon époux il m’a violée, étranglée et jeter mon corps dans une grotte. Trois jours plus tard il s’est pendu. Depuis quinze ans je ne peux toujours pas trouver de paix. Je vous supplie, allez dans mon village, et demandez pour la famille Simeonoff. Dans cette maison habite mon fils Ivan, dites lui où est mon corps. Dites lui toute la vérité. On va trouver mes restes, et m’enterrer afin que je puisse trouver le repos. Aidez-moi. Je vais à ma maison et je ne veux pas effrayer la femme de mon fils qui est enceinte, mais vous pourriez m’aider. »
Après ce message, Marguerite, était épuisée, mon père la raccompagna chez elle.
Cette rencontre fut le début d’une longue amitié familiale.
Après cette consultation mon père a appelé le maire de ce village. Il nous fut confirmé que la famille Siemonoff existait. Que madame Simeonoff avait disparue le jour des obsèques de son mari et que depuis, on ne l’avait jamais retrouvée et que son fils continuait toujours sa recherche. Mon père parla de la grotte qui se trouvait dans la forêt. Le maire répondit qu’effectivement cette grotte n’avait pas été explorée car d’un accès très dangereux. Cependant il dit à mon père qu’une autre tentative d’exploration serait faite. Les résultats du laboratoire nous sont parvenus. Le sang du plafond était du groupe B alors que dans notre famille nous sommes du groupe A. Après cette démarche Zaphissa ne s’est plus manifestée chez nous.
Espérons que son âme a trouvé la paix.
[Mariya K. – le 02-05-05] |