Par un beau dimanche de printemps, je me rends à un déjeuner au restaurant, en compagnie de mon fils Cédrick et de son père Michel; devenu un grand ami. Ces moments chaleureux représentent pour moi un grand réconfort. D’autant plus que la sagesse exigeait que mon garçon de douze ans demeure avec son père. Ces agréables rencontres fraternelles et amicales, malgré le divorce et la nullité de mariage, me permettent de poursuivre une thérapie personnelle et familiale.
Lorsqu’ils quittent le restaurant, alors que de mon côté je retourne chez moi à pied, je me retourne pour jeter un bref regard vers Cédrick. Comme par hasard, il se retourne au même moment. Nos regards se croisent pendant quelques secondes. Il m’envoie un mignon signe d’au revoir de sa main, accompagné d’un triste sourire. Le film du dernier souvenir de Serge refait surface dans ma mémoire, avec une force exceptionnelle. La fragilité émotive et psychologique ajoutée à la douleur physique chronique «qui rend fou», me pousse à essayer de tirer ma révérence par une tentative de suicide ?
La chaîne du suicide se poursuit…
Dès mon arrivée chez moi, je me prépare pour une très longue nuit de sommeil. Agenouillée pour une dernière prière du jour, je m’adresse à mon véritable ami, celui que l’on m’a présenté dans mon enfance:
« Jésus, merci de m’accompagner dans ce grand voyage et pardonne-moi sincèrement ce geste de désespoir ».
Je ne suis plus le maître à bord de mon navire. Convaincue de la validité de mon billet de transport aller seulement pour l’au-delà, j’avale à une vitesse incroyable, deux cents comprimés pour dormir de Restoril 30 mg. à travers l’épais brouillard de mon esprit souffrant et malade, une minuscule pensée de sagesse intérieure me dissuade de rebrousser chemin, le temps de deux interminables secondes. Comme une vague impression que mon compagnon de route m’accompagne toujours, peu importe mon choix.
Au jour le jour les années passent et, puisque l’eau qui coule dans les rivières ne remonte pas, nous passerons de même ( Auteur inconnu ).
Seule la douleur au dos, tenace et insoutenable à froid, ajoutée à la douleur morale m’incitent à poursuivre la plus désespérante de toutes mes expériences humaines.
Mon tombeau…
Mon cercueil temporaire fut la baignoire froide et vide, située à côté de l’évier de la salle de bains. En réalité, c’est dans mon lit que je devais prendre ce poison. Par contre, en me regardant dans le miroir de la salle de bain et en avalant rapidement, vingt-cinq pilules, j’ai complètement vécu un black-out total, jusqu’à ce qu’un cri de détresse me donne l’occasion de vivre un instant de lucidité dans une troisième dimension. Hélas, je séjourne prisonnière et inconsciente dans ce lugubre tombeau, deux longues journées entières. À cet endroit froid et terne, il n’y a plus vraiment de temps ni d’espace. Il me semble que je vais y demeurer toute l’éternité. C’est à ce moment précis que je vis presqu’exactement, le même phénomène vécu par mon frère Serge, lors du rêve spécial suivant son suicide. La seule différence, c’est que pour moi il y aurait une seconde chance.
Le bref souvenir conscient de ces tragiques instants de coma et/ou semi-coma, resteront toujours gravés dans ma mémoire. Comme si je me retrouvais dans une dimension nouvelle, mais tout à fait platonique, terne et ennuyante, j’assiste inlassablement impuissante, à la scène la plus désolante de mon existence. J’observe complètement désarmée, mon meilleur ami Michel crier à tue-tête et désespérément:
« Patricia, pourquoi tu as fait cela » ?
Mon compagnon au comble de son chagrin, hurle si fort qu’il me sort quelques brèves secondes de ce coma/semi-coma. Je parviens à tourner légèrement la tête pour apercevoir avec les yeux du coeur, son immense souffrance. J’aurais tant voulu lui répondre que je me sentais trop malheureuse.
L’important, ce n’est pas que vous soyez tombés. Ce qui est important, c’est que vous vous soyez relevés. ( Vince Lombardi ).
Quelle immense et indescriptible douleur morale de ressentir jusqu’au plus profond de son être, ce désagréable sentiment de regret et d’impuissance. Si au moins, je pouvais lui expliquer ce sincère repentir déjà logé dans mon coeur. Si j’avais pu capter le message du rêve de mon frère, cette seconde bévue aurait pu être évitée. Si au moins, je pouvais expliquer à Michel et à mes proches, ce sincère repentir déjà logé dans mon coeur.
On n’est rien que des p’tits enfants dans la main du Bon Dieu ( Maria Chapdelaine ).
[Patricia Turcotte. – le 26-06-10] |