Le thème de la mort est sans doute celui qui demeure le plus sensible, le plus dérangeant, en ces temps où la divinisation des corps, lamentable hypocrisie envers soi-même, est le révélateur d’une sécheresse spirituelle désespérante.
La décrépitude de la chair, son pourrissement, devient plus que jamais insupportable aux partisans d’une plastique glorifiée à l’extrême ; puisqu’il n’est de vie, à leurs yeux, que dans son expression matérielle.
Par son retentissement sur la conception que chacun se fait de l’existence, il est rassurant de découvrir un espace de réflexion consacré à cette délicate question. J’oserai même avancer que, en ce sens, le site de Claude fait oeuvre de salubrité publique.
Quelles significations réservons-nous à la mort ? Et quelles réactions suscite-t-elle de notre part ?
Questions d’importance car le sens qu’un individu attribue à la mort conditionne pour une grande part celui qu’il réserve à sa propre vie. Et à cet égard on ne peut que déplorer la puissance du déni que nos sociétés modernes opposent à la mort ; un déni révélateur d’une réelle perte du sens de la vie.
Car depuis la nuit des temps, et jusqu’il y a peu donc, l’homme a toujours su trouver une réponse lui permettant de surmonter la mort de son corps, de même que sa mort sociale. Si elle a évolué au fil du temps, cette réponse s’est longtemps démarquée d’une corporalité qu’il savait éphémère.
Il est probable que les primitifs partageaient la certitude d’une conscience qui, à l’instant ultime, rejoindrait celle des ancêtres dans un monde très éloigné ; situé en tout cas bien au-delà de la ligne d’horizon. À moins que notre lointain aïeul ne songeât qu’aux derniers instants de son existence d’invisibles forces de la nature, venues d’une autre sphère, se saisiraient de son esprit pour le guider vers les lieux mystérieux de l’après-vie. En tout état de cause son intuition ne pouvait le tromper. Il était persuadé que la vie de cette entité qui avait habité son corps, intelligente et douée de sentiments, se poursuivrait bien après la mort de celui-ci.
Cette croyance à laquelle adhéraient les premiers êtres humains semble confirmée par la découverte de sépultures vieilles de plus de 50.000 ans. Des restes de néandertaliens y étaient accompagnés d’objets usuels : outils, silex, armes, en prévision d’une vie renouvelée dans l’au-delà.
Plus près de nous, dans un but identique, on sait que la barque funéraire du pharaon décédé contenait une cargaison autrement plus précieuse en rapport du maigre viatique des hominidés.
En définitive rassurante, la certitude d’une forme de survie dans un monde sublimé perdura des millénaires. Mais voici peu, relativement à l’évolution du genre humain, émergèrent des façons de penser plus élaborées si l’on en croit leurs partisans. Parmi celles-ci, les idées développées par les religions monothéistes s’imposèrent peu à peu. Ces religions, tout en conservant une partie de l’héritage des primitifs, réaménagèrent sensiblement cette idée de la survie d’une entité consciente. Cette entité serait appelée âme et décrétée immortelle, puisque d’essence exclusivement spirituelle.
Quelques-unes de ces religions décrivirent, avec une grande précision parfois, l’ensemble des lieux où cette âme était censée migrer en fonction de la qualité du vécu terrestre de son » ex-usufruitier « . Un label de qualité fondé en tout premier lieu sur le respect que cet utilisateur temporaire, seul responsable des actes de l’âme qui lui est momentanément allouée, avait accordé aux préceptes imposés par la doctrine.
Au fil du temps ces contraintes, auxquelles s’ajoutèrent bien d’autres griefs, rendirent l’explication du devenir post-mortem de l’âme beaucoup moins attractive. Ainsi, une autre façon de penser, issue d’une meilleure connaissance des phénomènes de la nature, vint concurrencer, sinon supplanter, des croyances religieuses figées dans leur vision surnaturelle du monde. Mais si la science émergente des XVIIè et XVIIIè siècles, respectueuse de l’ordre divin établi, limitait le champ de ses investigations à la seule matière que Dieu, par autorités ecclésiastiques interposées, avait mis à la disposition de l’homme, il n’en ira plus de même par la suite. L’Alliance sera dénoncée et la religion verra son pouvoir de plus en plus contesté.
Les esprits se sont apaisés depuis sans que les dernières générations de scientifiques ne souscrivent pour autant aux dogmes de la religion. Devant l’impossibilité d’évaluer les propriétés de l’âme (qu’on l’appelle esprit ou conscience n’y change rien) la plupart des scientifiques, mais ils ne sont pas les seuls, jugent que celle-ci ne recouvre aucune espèce de réalité ; elle s’inscrit dans une tradition superstitieuse dont la fonction était de rassurer une humanité immature. C’est pourquoi ils estiment que l’homme, ayant atteint l’âge de raison, se doit désormais d’assumer son entière matérialité et, corollaire peu réjouissant, la néantisation absolue à l’heure de sa mort.
Mais cette vision dite réaliste, tragique pour le plus grand nombre, relève avant tout d’une attitude philosophique et non d’une démonstration scientifique. Venu à point nommé, l’existentialisme désespérant que suggère cette attitude offre un mobile idéal au vernis matérialiste de notre époque. Un vernis qui se fissure malgré tout car la croyance dans une forme de vie après la mort renaît semble-t-il de ses cendres et apparaît plus vivace que jamais. Certaines informations tendent même à indiquer que la croyance dans une existence post-mortem est majoritaire dans nombre de pays.
En fait l’individu est souvent perméable à ces deux croyances, surtout dans le monde occidental, jusqu’à tenir un double discours selon les circonstances. Il témoigne ainsi d’un jugement peu assuré, écartelé qu’il est entre l’intuition d’une vie après la mort, qui lui permettrait d’échapper au néant, et une réalité quotidienne en apparence contradictoire.
Lorsque l’intuition et la raison tentent de résoudre une même énigme il en résulte évidemment une ambivalence difficile à gérer ; que ce soit au niveau individuel ou collectif. Car les paradoxes d’une société résultent de la somme des contradictions des individus qui la composent.
Une chose est sûre, les êtres humains ont un grand respect de la mort ; surtout de la leur. Avant tout, peut-être, parce qu’ils éprouvent une irrépressible crainte de l’inconnu, du grand mystère final. Une crainte que certains tenteront de masquer en affectant la dérision. Mais ce stratagème défensif ne trompe pas grand monde et il est peu probable qu’ils s’y laissent prendre eux-mêmes très longtemps.
Par delà l’ambivalence que l’on vient d’évoquer et les incertitudes des uns ou des autres, on peut estimer que les opinions sur la question scindent grosso modo la société en trois groupes :
– les matérialistes, également dénommés cartésiens, rationalistes, scientistes, sceptiques, etc., qui sont les partisans d’un anéantissement total ;
– les survivalistes, ou encore spiritualistes, adeptes de la résurrection de la chair, de la renaissance, de la réincarnation ou tout simplement d’une forme non définie d’immortalité ;
– les indécis, qui oscillent entre ces deux options et, le plus souvent, se réfugient derrière un agnosticisme prudent.
Les qualifications de ces trois catégories paraîtront évidentes, voire simplistes, et peuvent être comparées aux trois tendances qui se dégagent habituellement lorsqu’il s’agit de donner un avis quelconque : « d’accord, pas d’accord ou indifférent ». Mais cette catégorisation élémentaire vaut avant tout par son aspect pratique, même si les opinions de la plupart d’entre nous ne sont pas aussi tranchées et sont l’objet de remaniements ponctuels. Car, progressivement, au fil de l’existence, tout un chacun en arrive à personnaliser son idée sur la question de la mort, empilant au fond de son jardin secret les synthèses de ses cogitations successives. Convenons donc simplement qu’il est bien délicat de savoir au juste à quelle conception de la mort se réfère le bien nommé commun des mortels.
En tout état de cause, quelle que soit votre propre opinion, vous trouverez dans cette page consacrée à « L’homme face à sa mort » nombre d’informations et de témoignages propices à alimenter votre réflexion. Je vous souhaite d’en tirer le meilleur profit et vous demande le plus grand respect à l’égard des récits dont vous serez les dépositaires. Un grand merci à Claude et aux témoins qui ont consenti à lui ouvrir leurs coeurs.
[Daniel Maurer – le 26-01-98] |