Cette histoire s’adresse à ceux qui s’intéressent aux phénomènes liés à la mort. Il me semble ne pas avoir le droit de garder pour moi ce qui m’est arrivé et je contacte toute personne participant au maintien de la mémoire collective dans ce domaine.
Ai-je eu affaire à un ange ou un autre esprit séjournant dans l’entre deux vies? Je n’en sais rien. Ci-après l’enchaînement des faits dans la réalité et ma vie parallèle pendant le coma.
Le 23 janvier 1999, un pédophile contre qui j’ai entamé une procédure judiciaire apprend que les témoignages de complaisance qu’il a collectés sont réfutés les uns après les autres par mon avocate. Cette réfutation est entièrement écrite de ma main et prouve par déduction que le revirement d’une plaignante à l’égard du pédophile est suspect. Lors de l’arrestation du délinquant en juillet 1997, la famille s’est immédiatement présentée afin que je retire ma plainte, en fait celle de ma fille mineure que je représente simplement. Une somme de deux cent mille francs belges m’a été offerte. J’ai bien sûr refusé et rapporté le fait au juge d’instruction.
Après cette audience du 23 janvier, mon avocate me signale que l’homme sera plus que probablement condamné et que le verdict sera prononcé le 1 mars 1999.
Le 1 février 1999, 9 jours après l’audience, on retrouve mon corps sanglant le long des rails du métro à la station Albert à Bruxelles.
Que s’est-il passé ?
Entre 17h20 et 17h25, je prends un métro à la gare du Midi. Bien que ce ne soit pas le numéro habituel, la voiture m’amène cependant à 10 minutes à pied de mon domicile. C’est une manière de procéder que j’utilise fréquemment étant donné les longues attentes que m’imposent assez souvent un direct.
À la station Albert, je descends et longe le quai vers la sortie. Au moment où j’appuie vers la gauche pour emprunter l’escalator, je sens une résistance. Les individus qui m’accompagnent à ma gauche ne semblent pas vouloir me laisser passer. Je resterai avec ce point d’interrogation. Pourquoi ne veulent-ils pas me laisser passer ? Le trou noir succède immédiatement après.
Tout aurait pu s’arrêter là. Néanmoins, je me réveille complètement abruti et défoncé vers le 17 février aux soins intensifs d’un hôpital proche du lieu de mon agression. N’ayant pour seul ennemi que le pédophile, je ne vois guère que lui pour avoir organisé ce passage à tabac.
La majorité des coups sous la ceinture a coloré tout le bas de mon corps en bleu et prédispose à penser qu’il s’agit bien de représailles. Mes proches confirmeront par la suite que j’avais un testicule bleu noir. Mes genoux et mes pieds ont été fracassés. En outre, rien ne m’a été volé.
Malheureusement, la nuit de mon hospitalisation, les médecins constatent une hémorragie interne au niveau de l’aorte postérieure ascendante. Le matin du 2 février 99, mon thorax est ouvert et l’artère colmatée en 3 heures d’opération. C’est à cette occasion que je vois clairement des bonnets verts penchés sur un trou gluant de sang. Je me désintéresse totalement de la situation. L’ouverture du thorax a provoqué quelques fractures supplémentaires des côtes entre les omoplates. Les médecins découvriront une vertèbre lombaire fracturée beaucoup plus tard alors que je suis rentré à la maison.
L’enquête s’est déroulée en dépit du bon sens. Mes vêtements n’ont pas été soumis à un expert par la gendarmerie et mes blessures n’ont pas été examinées par un spécialiste. Enfin, l’incident n’a eu aucun témoin.
Dès l’instant où je reprends conscience, je considère tout le personnel de l’hôpital comme des tortionnaires nazis. Tout ce que l’ennemi en blouse blanche me demande est combattu et je reste environ une semaine avec cette question que je n’ose pas poser: pourquoi mes proches peuvent-ils aller et venir sans problème ? Sont-ils manipulés ?
Un jour, je prie instamment ma femme de s’en aller de peur qu’on la garde pour des expériences médicales. Cette paranoïa ne concorde pas avec la réalité. Je m’en rends compte. Mais le système nerveux ne veut rien savoir. Il est encore sous le choc des atrocités subies. Je hallucine. Je fais des rêves monstrueux. Au fil des jours, je recommence à contrôler mon corps et à recouvrer mes aptitudes sociales. Ma femme m’explique que mes reins sont bloqués. C’est pourquoi je dois subir des hémodialyses. Je n’ai qu’une envie: quitter l’hôpital.
Comme par magie, le lendemain de cette révélation, mes reins ressuscitent. Je deviens plus cohérent et j’apprends qu’on m’appelle le miraculé dans le service. Cela ne m’étonne même pas. Mais qu’ai-je fait entre le 1er et le 18 février 99?
Je n’en ai pas soufflé un traître mot aux médecins. Sachant que ces derniers sont toujours prêts à donner une explication plausible dans leur réalité à eux, je n’allais pas évoquer l’univers entre la vie et la mort.
Pour la plupart, nous sommes de vulgaires morceaux de viande. En fait, ce qu’ils veulent dire, c’est qu’ils n’ont jamais étudié que de la viande et, quand on étudie de la viande, c’est forcé, on ne trouve que de la viande. Le système des scientifiques du domaine médical est d’une stupidité à hurler.
Mais passons! La chose la plus évidente à partir du moment où je me désintéresse de la situation dramatique de mon corps, c’est que je me mets à voir les choses d’où je suis. J’ai un terrible problème avec tout ce qui est vertical et horizontal. Tous les objets sont au mur en face de moi. C’est ainsi que je perçois d’abord l’environnement. Je me demande de temps à autre pourquoi ils mettent les téléphones sur des meubles dressés à la verticale.
Quand je revois mon corps, ils l’ont mis dans un lit mais celui-ci est curieusement à la verticale. Sont-ils devenus fous? La chose me perturbe et me met en colère. Je sais que je dois chercher quelqu’un. Contrairement à ce que j’ai lu dans la littérature, je ne me sens pas du tout dans un tunnel. Je me sens bien et libre. En fait, je ne me déplace pas.
Je prends tout à coup conscience que je suis dans un endroit précis. La sensation de se mouvoir n’existe plus. Ensuite, rien ne peut plus m’arriver. Cette impression de maîtrise totale de soi, je ne l’ai rencontrée nulle part ailleurs. Soudain, je vois une affiche où figure un eurasien coiffé d’un chapeau buse et portant des lunettes en verre très fin et à monture délicate.
Voilà! C’est lui que je dois voir. Je le retrouve dans ce qui s’avère être une sorte de souterrain. C’est peut-être ça qu’ils appellent le tunnel. Je n’en sais rien. Il est en effervescence. D’autres personnes travaillent avec lui. Ce bonhomme est blond, chevelure coiffée vers l’avant. Son regard a une expression de bonté extrême. Il m’invite à partager son enthousiasme pour ses recherches. Sa passion: la culture sur les fonds marins. Le temps n’existe plus. Les images qu’il me donne à voir sont fantastiques.
Je discute avec d’autres personnes qui sont là. Le même procédé se passe. Toutes ces personnes me communiquent les choses les plus extraordinaires les unes que les autres. Il y en a un dont je me souviens. J’ai vu sa photo dans un livre d’histoire. Assis à une table devant un microscope, son sourire et son expression me touchent droit au coeur. Il est mort pourtant, depuis le temps. Moi aussi. Quelle chance! Je vais pouvoir rester avec eux.
À ce moment, mon premier interlocuteur me stoppe.
– « Non, me dit-il d’un ton grave, tu dois retourner achever ce que tu as commencé, même si c’est pour peu de temps ».
Ces paroles m’attristent. Son visage se grave dans ma mémoire avec une acuité rare. Je comprends immédiatement qu’il est triste aussi. Mais, c’est vrai. On n’abandonne pas un chantier. Je rebrousse chemin. Enfin, façon de parler, car je me retrouve aussitôt devant ce corps allongé à la verticale et plein de tubes en tous sens.
Un autre phénomène se produit. Quelqu’un me parle. Je le vois. Il est tout vieux et décrépi. Il a l’air d’un aborigène d’Australie desséché par le soleil. Déclinant son identité, il me confie son inquiétude. Son corps ne respire plus. Je lui dis qu’il est sans doute mort car le mien à eu un problème analogue mais on l’a forcé à respirer avec un appareil.
Apparemment, mon corps est plus solide que le sien. Il a l’air de tenir le coup. Le vieux sourit. C’est curieux, ce sourire. C’est comme si le plaisir se transmettait directement sans le moindre filtre ou obstacle. Etonnant!
On est là en train de discuter de notre matériel respectif. Alors, je pense à quel point on est libre et combien c’est extraordinaire de retrouver les autres. Le vieux me fait un signe de connivence et disparaît par la fenêtre ouverte.
Cette fenêtre devient d’ailleurs un sacré sujet de discussion avec mes proches car beaucoup de gens viennent me rendre visite par là. Plus tard, ma fille me racontera qu’à mon réveil, je parlais du vieux de la chambre d’à côté et que je l’appelais par son nom. Intriguée, elle ira vérifier l’identité du monsieur mort la nuit avant juste à côté de moi. Il s’avérera que l’identité était exacte.
De toute façon, les médecins diront que quelqu’un a prononcé le nom du patient d’à côté pendant votre inconscience et que vous l’avez enregistré. Pire, ils diront que vous faisiez semblant d’être inconscient.
Qu’est-ce que je retiens de tout cela? Ai-je rencontré mon ange gardien et m’a-t-il gentiment prévenu que je n’allais pas traîner sur la planète terre?
Dois-je m’attendre à une récidive de la part du pédophile ? Et mon chantier ? Est-ce la procédure en cours ? Est-ce le fait d’écrire l’un ou l’autre roman? Est-ce le fait de transmettre cette histoire?
Je dois le reconnaître. Ce n’est pas facile d’y voir clair. Tout ce dont je suis sûr, c’est qu’on est plus en sécurité et en liberté mort que vivant. Ce sera la dernière lapalissade. Il faut le reconnaître également: si tous les terriens étaient persuadés de cette lapalissade, y aurait-il encore grand monde sur terre ?
[Luc S. – le 16-12-99] |